Untitled (phaéthon) saddle leather pieces cotton muslin
Le Bonheur curated by Livia Parmantier Interface Berlin June 2021
Dans une interview de 1965, l’écrivain français Jean Giono exprimait sa vision du bonheur. « Le bonheur est à côté » 1, disait-il, il peut naître d’instants du quotidien parfois insignifiants et selon des prédispositions personnelles inexplicables : « une feuille de papier qui glisse bien » 2 au moment de l’écriture, « un travail bien huilé » 3, un ressenti particulier, la vue d’un objet, d’un paysage, peuvent devenir les catalyseurs d’une telle sensation. Ces moments apportent une profondeur supplémentaire au présent, aux choses telles qu’elles sont. Ils ouvrent à un ailleurs que le regard habituel ne perçoit pas. Cette exposition présente les œuvres d’artistes ayant retenu de tels instants.
L’espace du jardin accueille Phaéthon Partie III une installation d’Alizée Gazeau. L’œuvre fait suite à deux précédentes versions de cette composition. Un tissu constitué de formes de losanges et d’écailles de cuir cousues, prend place dans l’espace extérieur et forme un ensemble dont la surface est traversée par la lumière, les feuilles, les ombres de la journée, les oiseaux. Elle évoque un état intérieur suspendu entre la terre et le ciel. L’expérience d’une « absence parallèle à la présence » 4 associée à des moments de divagation, de lecture ou d’endormissement, dans lesquels on s’extrait des dynamiques du monde.
Bianca Lee Vasquez explore les pouvoirs thérapeutiques de la terre. Soil High Series introduit dans l'espace d'exposition une portion de terre de compost fertile sur laquelle sont installées des figures en céramique. Une substance développée par l'artiste, composée d'un mélange de produits commerciaux existants et porteurs d'une bactérie active de la terre, est diffusée dans l'espace d'exposition. Une découverte récente sur les microbes du sol et la santé mentale a mis en évidence la capacité de la mycobacterium vaccae présente dans le sol à générer un sentiment de bonheur en augmentant les niveaux de sérotonine et de noradrénaline. En vertu de l'inhalation, l'œuvre d'art intègrera littéralement le corps du spectateur. L'installation sera activée par une performance de l'artiste.
Les tapisseries de Chloé Bensahel jouent sur le passage du visible à l’invisible. Une poésie rédigée sur des lamelles de papier japonais est encapsulée sur toute la longueur du fil de tissage. Des fragments de textes s’en échappent et parsèment la surface du tissu de variations chromatiques aléatoires. La poésie est présente mais ne peut être lue. Une fraction de texte apparaît au bout de la tapisserie, ou sur sa surface pour laisser une part d’interprétation au spectateur. « L’ambiguïté de lecture et d’interprétation » 5 à laquelle nous sommes souvent confrontés dans notre rapport au monde, provoque un inconfort que les œuvres invitent à apprivoiser.
Untitled (Chorin) de Nils Köpfer évoque les contours flous d’un paysage vu depuis un intérieur. L’image renvoie à une fugue hors du réel, comme celle d’un enfant qui plisserait les yeux pour réinventer le monde, ou la trace d’un souvenir lointain remodelé par la mémoire subjective. La pratique de la peinture est vécue par l’artiste comme un refuge, un espace qui s’entretient par petites touches « comme un jardin » 6. L’architecture ouverte sur l’extérieur évoque l’interpénétration entre la pratique picturale et le lien à la nature.
L’architecte Eleonora Santucci présente Les maisons que j’habite, une série de croquis initiée en mars 2020. Dans un effort de mémoire, l’architecte a reconstruit la structure de chaque pièce, meuble et détails des appartements où elle a vécu depuis qu’elle a quitté le domicile familial. « Représenter ces intérieurs était comme dessiner les lieux qui me définissent, où chaque pièce est un monde en soi » 7. Cette série de croquis se présente comme un remède au renoncement des espaces de vie qui nous ont constitué.
Les œuvres du duo Ornaghi & Prestinari investissent l’espace comme des ponctuations. Funambolo, une pince à linge en albâtre suspendue sur un fil tendu, semble parler pour nous. Comme une « poésie visuelle », elle condense dans sa forme un sentiment d’équilibre précaire et de doute existentiel. Chapeau prend discrètement la forme d’un bouchon en albâtre posé sur une bouteille de bière. Les objets manipulés et laissés après utilisation racontent à leur façon le cadre d’une scène de vie, d’une interaction sociale dont ils conservent la trace.
Les peintures de Charles Hascoët présentent des fragments de scène de vie dans de petits formats qui incitent au rapprochement. Les objets et les individus représentés semblent être animés par une volonté secrète et préservent dans leur contour le regard qu’on aurait porté sur eux. Un sentiment d’attente se manifeste sous la forme d’un cactus peu arrosé ; un citron posé sur ses rondeurs retient l’éclat particulier d’une journée ; un ami en état de confiance s’assoupit dans un fauteuil confortable ; les couleurs chatoyantes d’une bouteille de Listerine ravive un sentiment d’émerveillement.
Livia Parmantier
1 Jean Giono, dans Jean Giono s'entretient avec Claude Santelli, émission « La nuit écoute », 1965
2 Ibidem
3 Ibidem
4 “Questa esperienza di assenza, parallela alla presenza […]”, [notre traduction], Ibidem, p. 92
5 Entretien avec l’artiste Chloé Bensahel, 17 juin 2021
6 Entretien avec l’artiste Nils Köpfer, 29 juin 2021
7 Eleonora Santucci, Les maisons que j’habite, 2021
In a 1965 interview, the French writer Jean Giono expressed his vision of happiness. "Happiness is aside" 1, he said, it can be born from everyday moments, often seemingly insignificant and dependent on inexplicable personal predispositions: "a sheet of paper that slips well" 2 when writing, "a well executed piece of work" 3, a particular feeling, the sight of an object, of a landscape, can become the catalysts of such a feeling. These moments bring an additional depth to the present, to things as they are. They open to an elsewhere that the usual glance does not perceive. This exhibition presents the works of artists who have retained such instants.
The garden hosts Phaethon Part III, an installation by Alizée Gazeau. This composition is the third iteration of the artwork. A fabric made of rhombuses and sewn leather scales located outside the exhibition space forms a surface crossed by the light, the leaves, the shadows of the day, the birds. It evokes an inner state suspended between the earth and the sky, the experience of an "absence parallel to presence" 4 associated with moments of rambling, reading or falling asleep, in which one extracts themselves from the dynamics of the world.
Bianca Lee Vasquez explores the therapeutic powers of dirt. Soil High Series brings into the exhibition space a portion of fertile compost soil on which fired clay figures are installed. A substance developed by the artist, composed of soil and readily accessible commercial products which carry an active dirt bacterium, is diffused across the exhibition space. A recent discovery concerning soil microbes and mental health has highlighted the ability of mycobacterium vaccae present in soil to create a feeling of happiness by boosting the levels of serotonin and norepinephrine. By virtue of inhalation the artwork will literally be present in the body of the viewer. The installation will be activated by a performance by the artist.
Chloé Bensahel's tapestries play on the passage from the visible to the invisible. Poems written on strips of Japanese paper are encapsulated along the entire length of the weaving thread. Fragments of text escape from it and dot the surface of the fabric with random chromatic variations. The poetry is present but cannot be read. A fraction of text appears at the end of the tapestry or on the surface of the fabric to leave a part of interpretation to the spectator. The "ambiguity of reading and interpretation" 5 that we are often confronted with in our relationship to the world provokes a discomfort that these works invite us to tame.
Untitled (Chorin) by Nils Köpfer evokes the blurred contours of a landscape seen from an interior. The image refers to an escape from reality, like that of a child who would squint in order to reinvent the world, or the trace of a distant memory reshaped by subjectivity. Painting is experienced by the artist as a refuge, a space that is maintained by small touches "like a garden" 6. Open to the outside, he architecture points to an interconnectedness between the pictorial practice and the link to nature.
Architect Eleonora Santucci presents Les maisons que j’habite (The Houses I Live In), a series of sketches initiated in March 2020. Relying on her memory only, the architect reconstructed the structure of each room, piece of furniture and details of the apartments she has lived in since leaving her family home. "Representing these interiors meant drawing the places that define me, where each room is a world in itself." 7 This series of sketches acts as a remedy to having renounced the living spaces that once constituted us.
The works of the duo Ornaghi & Prestinari punctuate the exhibition space. Funambolo, an alabaster clothespin suspended on a taut wire, seems to speak for us. Like a "visual poetry", it condenses in its form a feeling of precarious balance and existential doubt. Chapeau discreetly takes on the form of an alabaster cork placed on a beer bottle. The objects manipulated and left after use suggest in their own way the frame of a life scene and preserve the trace of a social interaction.
Charles Hascoët's paintings present fragments of life scenes in small formats that incite us to look closer. The objects and individuals represented seem to be animated by a secret will and carry in their contour the look that one would have cast on them. A sense of expectation becomes manifest in the form of a sparsely watered cactus; a lemon resting on its curvature retains the special glow of a day, a friend in a state of confidence dozes in a comfortable armchair, the shimmering colours of a bottle of Listerine revive a sense of wonder.
Untitled (phaéthon) saddle leather pieces cotton muslin
Le Bonheur curated by Livia Parmantier Interface Berlin June 2021
Dans une interview de 1965, l’écrivain français Jean Giono exprimait sa vision du bonheur. « Le bonheur est à côté » 1, disait-il, il peut naître d’instants du quotidien parfois insignifiants et selon des prédispositions personnelles inexplicables : « une feuille de papier qui glisse bien » 2 au moment de l’écriture, « un travail bien huilé » 3, un ressenti particulier, la vue d’un objet, d’un paysage, peuvent devenir les catalyseurs d’une telle sensation. Ces moments apportent une profondeur supplémentaire au présent, aux choses telles qu’elles sont. Ils ouvrent à un ailleurs que le regard habituel ne perçoit pas. Cette exposition présente les œuvres d’artistes ayant retenu de tels instants.
L’espace du jardin accueille Phaéthon Partie III une installation d’Alizée Gazeau. L’œuvre fait suite à deux précédentes versions de cette composition. Un tissu constitué de formes de losanges et d’écailles de cuir cousues, prend place dans l’espace extérieur et forme un ensemble dont la surface est traversée par la lumière, les feuilles, les ombres de la journée, les oiseaux. Elle évoque un état intérieur suspendu entre la terre et le ciel. L’expérience d’une « absence parallèle à la présence » 4 associée à des moments de divagation, de lecture ou d’endormissement, dans lesquels on s’extrait des dynamiques du monde.
Bianca Lee Vasquez explore les pouvoirs thérapeutiques de la terre. Soil High Series introduit dans l'espace d'exposition une portion de terre de compost fertile sur laquelle sont installées des figures en céramique. Une substance développée par l'artiste, composée d'un mélange de produits commerciaux existants et porteurs d'une bactérie active de la terre, est diffusée dans l'espace d'exposition. Une découverte récente sur les microbes du sol et la santé mentale a mis en évidence la capacité de la mycobacterium vaccae présente dans le sol à générer un sentiment de bonheur en augmentant les niveaux de sérotonine et de noradrénaline. En vertu de l'inhalation, l'œuvre d'art intègrera littéralement le corps du spectateur. L'installation sera activée par une performance de l'artiste.
Les tapisseries de Chloé Bensahel jouent sur le passage du visible à l’invisible. Une poésie rédigée sur des lamelles de papier japonais est encapsulée sur toute la longueur du fil de tissage. Des fragments de textes s’en échappent et parsèment la surface du tissu de variations chromatiques aléatoires. La poésie est présente mais ne peut être lue. Une fraction de texte apparaît au bout de la tapisserie, ou sur sa surface pour laisser une part d’interprétation au spectateur. « L’ambiguïté de lecture et d’interprétation » 5 à laquelle nous sommes souvent confrontés dans notre rapport au monde, provoque un inconfort que les œuvres invitent à apprivoiser.
Untitled (Chorin) de Nils Köpfer évoque les contours flous d’un paysage vu depuis un intérieur. L’image renvoie à une fugue hors du réel, comme celle d’un enfant qui plisserait les yeux pour réinventer le monde, ou la trace d’un souvenir lointain remodelé par la mémoire subjective. La pratique de la peinture est vécue par l’artiste comme un refuge, un espace qui s’entretient par petites touches « comme un jardin » 6. L’architecture ouverte sur l’extérieur évoque l’interpénétration entre la pratique picturale et le lien à la nature.
L’architecte Eleonora Santucci présente Les maisons que j’habite, une série de croquis initiée en mars 2020. Dans un effort de mémoire, l’architecte a reconstruit la structure de chaque pièce, meuble et détails des appartements où elle a vécu depuis qu’elle a quitté le domicile familial. « Représenter ces intérieurs était comme dessiner les lieux qui me définissent, où chaque pièce est un monde en soi » 7. Cette série de croquis se présente comme un remède au renoncement des espaces de vie qui nous ont constitué.
Les œuvres du duo Ornaghi & Prestinari investissent l’espace comme des ponctuations. Funambolo, une pince à linge en albâtre suspendue sur un fil tendu, semble parler pour nous. Comme une « poésie visuelle », elle condense dans sa forme un sentiment d’équilibre précaire et de doute existentiel. Chapeau prend discrètement la forme d’un bouchon en albâtre posé sur une bouteille de bière. Les objets manipulés et laissés après utilisation racontent à leur façon le cadre d’une scène de vie, d’une interaction sociale dont ils conservent la trace.
Les peintures de Charles Hascoët présentent des fragments de scène de vie dans de petits formats qui incitent au rapprochement. Les objets et les individus représentés semblent être animés par une volonté secrète et préservent dans leur contour le regard qu’on aurait porté sur eux. Un sentiment d’attente se manifeste sous la forme d’un cactus peu arrosé ; un citron posé sur ses rondeurs retient l’éclat particulier d’une journée ; un ami en état de confiance s’assoupit dans un fauteuil confortable ; les couleurs chatoyantes d’une bouteille de Listerine ravive un sentiment d’émerveillement.
Livia Parmantier
1 Jean Giono, dans Jean Giono s'entretient avec Claude Santelli, émission « La nuit écoute », 1965
2 Ibidem
3 Ibidem
4 “Questa esperienza di assenza, parallela alla presenza […]”, [notre traduction], Ibidem, p. 92
5 Entretien avec l’artiste Chloé Bensahel, 17 juin 2021
6 Entretien avec l’artiste Nils Köpfer, 29 juin 2021
7 Eleonora Santucci, Les maisons que j’habite, 2021
In a 1965 interview, the French writer Jean Giono expressed his vision of happiness. "Happiness is aside" 1, he said, it can be born from everyday moments, often seemingly insignificant and dependent on inexplicable personal predispositions: "a sheet of paper that slips well" 2 when writing, "a well executed piece of work" 3, a particular feeling, the sight of an object, of a landscape, can become the catalysts of such a feeling. These moments bring an additional depth to the present, to things as they are. They open to an elsewhere that the usual glance does not perceive. This exhibition presents the works of artists who have retained such instants.
The garden hosts Phaethon Part III, an installation by Alizée Gazeau. This composition is the third iteration of the artwork. A fabric made of rhombuses and sewn leather scales located outside the exhibition space forms a surface crossed by the light, the leaves, the shadows of the day, the birds. It evokes an inner state suspended between the earth and the sky, the experience of an "absence parallel to presence" 4 associated with moments of rambling, reading or falling asleep, in which one extracts themselves from the dynamics of the world.
Bianca Lee Vasquez explores the therapeutic powers of dirt. Soil High Series brings into the exhibition space a portion of fertile compost soil on which fired clay figures are installed. A substance developed by the artist, composed of soil and readily accessible commercial products which carry an active dirt bacterium, is diffused across the exhibition space. A recent discovery concerning soil microbes and mental health has highlighted the ability of mycobacterium vaccae present in soil to create a feeling of happiness by boosting the levels of serotonin and norepinephrine. By virtue of inhalation the artwork will literally be present in the body of the viewer. The installation will be activated by a performance by the artist.
Chloé Bensahel's tapestries play on the passage from the visible to the invisible. Poems written on strips of Japanese paper are encapsulated along the entire length of the weaving thread. Fragments of text escape from it and dot the surface of the fabric with random chromatic variations. The poetry is present but cannot be read. A fraction of text appears at the end of the tapestry or on the surface of the fabric to leave a part of interpretation to the spectator. The "ambiguity of reading and interpretation" 5 that we are often confronted with in our relationship to the world provokes a discomfort that these works invite us to tame.
Untitled (Chorin) by Nils Köpfer evokes the blurred contours of a landscape seen from an interior. The image refers to an escape from reality, like that of a child who would squint in order to reinvent the world, or the trace of a distant memory reshaped by subjectivity. Painting is experienced by the artist as a refuge, a space that is maintained by small touches "like a garden" 6. Open to the outside, he architecture points to an interconnectedness between the pictorial practice and the link to nature.
Architect Eleonora Santucci presents Les maisons que j’habite (The Houses I Live In), a series of sketches initiated in March 2020. Relying on her memory only, the architect reconstructed the structure of each room, piece of furniture and details of the apartments she has lived in since leaving her family home. "Representing these interiors meant drawing the places that define me, where each room is a world in itself." 7 This series of sketches acts as a remedy to having renounced the living spaces that once constituted us.
The works of the duo Ornaghi & Prestinari punctuate the exhibition space. Funambolo, an alabaster clothespin suspended on a taut wire, seems to speak for us. Like a "visual poetry", it condenses in its form a feeling of precarious balance and existential doubt. Chapeau discreetly takes on the form of an alabaster cork placed on a beer bottle. The objects manipulated and left after use suggest in their own way the frame of a life scene and preserve the trace of a social interaction.
Charles Hascoët's paintings present fragments of life scenes in small formats that incite us to look closer. The objects and individuals represented seem to be animated by a secret will and carry in their contour the look that one would have cast on them. A sense of expectation becomes manifest in the form of a sparsely watered cactus; a lemon resting on its curvature retains the special glow of a day, a friend in a state of confidence dozes in a comfortable armchair, the shimmering colours of a bottle of Listerine revive a sense of wonder.